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La porte qui se referme : hommage aux 39 morts dans un camion… et tous les autres.

[In english below] Cet été 2019, je progressais avec un groupe de migrant du Honduras. À pied

dans les forêts tropicales, à bord du train la Bestia au Mexique. Ce qui s’y passa est encore trop présent pour être raconté. Pour continuer notre trajet à la suite de l’arrêt du train par les services de migration, nous avons dû prendre un bus. En raison des nouvelles lois et du déploiement de milliers de militaires, impossible de monter à bord en tant que passager. C’est à la sortie d’une ville que nous l’avons rejoint, à la nuit tombante, alors que les ombres savent cacher la vérité à ceux qui veulent détourner le regard. En quelques instants, pendant qu’il faisait le plein, l’assistant a ouvert la soute à bagages et nous nous sommes jetés à l’intérieur. Je revois avec précision l’instant où le coffre s’est refermé sur nous. À partir de cet instant, nous n’étions plus que des bagages, livré au bon vouloir du chauffeur et son assistant. Aucun moyen d’ouvrir la porte de l’intérieur. Aucune eau, nourriture ou protection des chocs de la route. L’odeur entêtante de vomis, la crasse et la poussière, nos corps jetés les uns contre les autres à chaque virage étaient désormais notre univers pour un trajet dont nous n’avions aucune idée de la durée, juste qu’il devait nous emmener le plus loin possible à l’intérieur des terres, loin des secteurs les plus surveillés par l’armée et service de migration. Notre vie ne dépendait plus de notre lutte, mais de la volonté de deux hommes, dont l’altruisme s’arrête aux quelques billets glissés dans leur main avant d’embarquer. Des billets qui ne valaient presque rien, assurément pas une vie.

En lisant le récit terrible du camion retrouvé avec 39 morts à bords, je ne peux m’empêcher d’imaginer leur parcours. Cet instant où la porte s’est refermée sur eux, prêt à vivre quelques jours d’horreur en échange d’une liberté rêvée. Je suis sûr qu’ils ont pensé, comme je l’ai fait, « Et si la porte ne s’ouvrait plus jamais… ». Qu’ils ont gardé cette crainte lors de chaque kilomètre de route. La nôtre s’est rouverte après quelques heures par les services de migration lors d’un barrage de contrôle. La leur est restée fermée à jamais.



Ils ne sont pas des héros. Leurs noms n’existeront pour personne, aucune mémoire ne leur sera accordée. Ils sont pourtant les guerriers d’un monde qui se perd, où la survie n’est tout simplement plus possible dans leur territoire. Leur seule option est dans ce départ qu’ils n’ont pas voulu, vers une lutte quotidienne, inexorable, pour laquelle rien ne les a préparés. Une lutte paradoxale qui les éloignent à jamais du monde qui étaient le leur, celui de leur ancêtre, pour arriver après un trajet semé d’horreur dans monde qui ne voudra pas d’eux, pourtant leur seul espoir.

Alors je pense à tous ces héros perdus dont l’acte désespéré devrait nous alerter sur l’état du monde, sur la douleur de l’être, sur les futurs réfugiés climatiques dont nous ne pourrons ignorer notre responsabilité. Je ne peux fermer les yeux sans revoir les regards de celles et ceux que j’ai accompagnés, mélange saisissant d’un œil battu de peur et de l’autre quémandant l’avenir. J’espère tant pouvoir le leur offrir, pour le plus jamais lire qu’un charnier à été retrouvé là, juste à côté de chez moi, et que passé l’émoi de la nouvelle sensationnelle, si peu s’en soucient.


[ENG]

This summer 2019, I was progressing with a group of migrants from Honduras. On foot in the rainforests, aboard the Bestia train in Mexico. What happened there is still too much to be told. To continue our journey following the train stop by the migration services, we had to take a bus. Because of the new laws and the deployment of thousands of soldiers, it is impossible to board the plane as a passenger. It is at the exit of a city that we joined it, at nightfall, while shadows know how to hide the truth to those who want to look away. In a few moments, while he was refuelling, the assistant opened the luggage compartment and we threw ourselves inside. I can see exactly when the trunk closed on us. From that moment on, we were nothing but luggage, delivered at the pleasure of the driver and his assistant. No way to open the door from the inside. No water, food or road shock protection. The stubborn smell of vomit, dirt and dust, our bodies thrown against each other at each turn, was now our universe for a journey we had no idea of ​​the duration, just that he had to take us away from the most heavily guarded areas by the military and migration service. Our life no longer depended on our struggle, but on the will of two men, whose altruism stops at the few notes slipped in their hands before embarking. Some notes that worth almost nothing, certainly not a life. Reading the terrible story of the truck found with 39 dead on board, I cannot help but imagine their journey. This moment when the door closed on them, ready to live a few days of horror in exchange for a dream of freedom. I'm sure they thought, as I did, "And if the door would never open again ...". That they kept that fear on every mile of their road. Ours reopened after a few hours by the migration services during a control dam. Theirs remained closed forever.

They are not heroes. Their names will not exist for anyone, no memory will be granted to them. They are the warriors of a world that is lost, where survival is simply not possible in their territory. Their only option is in this departure that they did not want, towards a daily, inexorable struggle, for which nothing prepared them. A paradoxical struggle that removes them forever from the world that was theirs that of their ancestor, to arrive after a ride strewn with horror in a world that will not want them, yet their only hope.

So I think of all those lost heroes whose desperate act should alert us to the state of the world, to the pain of being, to future climate refugees whose responsibility we cannot ignore. I cannot close my eyes without seeing the eyes of those I have accompanied, a striking mixture of an eye beaten with fear and the other begging for the future. I hope so much to offer them, never to read that a charnel house was found right next to my home, and that past the excitement of the sensational news, so few care.

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