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Au revoir, Myanmar...

Demander l’impossible. C’est ce qu’on a fait avec Aung San Su Kui. D’une possible transition démocratique nous en avons creusé le lit d’une dictature qui sera plus dur encore que précédemment.


Le Mynamar est l’une des dictatures militaires les plus dures qui soient. Parler, pour les nombreuses populations qui le constituent, n’était tout simplement pas une option. Nous y avions fait un film de silence. Les paysages, les beautés, les sourires, les marchés pouvaient être montrés à l’envi, à tel point que le pays semblait une merveille, en balayant le fait que rien n’était dit des souffrances, des interdits, des animosités entre peuples. La dictature militaire avait posé une chappe sans concession sur le pays, corrompant les cœurs en profondeurs. Le bouddhisme lui-même y est devenu extrême, empli d’injonctions, d’interdits et de violences, jusqu’au génocide vis-à-vis entre autres des Rohingas -victimes depuis tant d’années de brimade- sous la coupe du moine ultranationaliste Ashin Wirathu et de son « mouvement 969 » islamophobe, dont l’influence dans le pays n’a cessé d’augmenter.

Et puis il y avait Aung San Suu Kyi. Figure de noblesse, femme « silencieuse » en résidence surveillée qui symbolisait le combat pour un pays démocratique, souvent comparée à Mandela ou Gandhi. Et soudain, la gorgée d’espoir en novembre 2015 : la Ligue nationale pour la démocratie (NLD) qu’elle a créée gagne les élections ! Htin Kyaw, devient président de la République et Aung San Suu Kyi -inéligible selon une loi militaire- devient Affaires étrangères, conseillère spéciale de l'État et porte-parole. Les regards se braque sur le nouveau gouvernement dont on attend tout, et surtout un changement total, immédiat. Immédiat ! Transformer le pays du jour au lendemain ; atténuer les haines entre ethnies ; juguler le terrorisme 969 antimusulman ; redonner confiance à un peuple brimé ; sauver l’économie... Tout. L’impossible surtout. Car du pouvoir, il manque l’essentiel à la NLD. Les militaires n’ont laissé gagner ces élections qu’en imposant de garder, avec les pleins pouvoirs, les ministères de l’armée, de l’Intérieur, de la police. Bref, la force. Loin de freiner Wirathu et les mouvements anti-haine, ils ont été attisés. Et alors que les Rohingas sont ostracisés depuis des années, l’autorisation de parole soudaine a permis enfin d’en parler ouvertement. Et de connaître leur terrible sort, dont le quotidien est d’une violence sans nom, apatride, rejeté dans un pays lui-même ostracisé, sorte de symbole d’unité des peuples birmans contre une seule cible : eux. Rien ne peut justifier les violences vécues par ce peuple, et les défendre était une absolue nécessité. Mais nous voulions que tout change. Tout de suite. Ces évolutions prennent du temps. Et plutôt que d’accompagner, d’aider, en condamnant bien sûr les mauvais traitements, tout en permettant la poussée démocratique qui aurait permis de repousser ces derniers bastions militaires du pouvoir, nous avons condamné. Plus qu’aucune action de la dictature Birmane ne l’a jamais été ! Plutôt que de comprendre que si nous parlions plus des problèmes que jamais, c’est entre autres grâce à l’ouverture nouvelle du pays, dont les militaires tenaient les armes, mais plus la parole, nous n’avons parlé que des drames et aucunement de l’amélioration des conditions de vie pour les Birmans. Le mythe Su Kui est tombé et tout les espoirs avec lui, symbolisés par le retrait de ses décorations internationales.

J’ai ressenti la même chose au Somaliland, ce bout de territoire qui s’est désolidarisé de la Somalie pour créer un espace démocratique autonome et de paix. Aucun pays n’a soutenu l’initiative, personne ne les a aidés. Et ce « pays » qui, sans aide, a pourtant su mettre en place des élections, créer une monnaie, écrire une charte de laïcité, est aujourd’hui en train de sombrer dans le joug des extrêmes, rattrapé par une économie exsangue de ne recevoir aucune aide internationale. Le rêve s’est brisé. Comme celui du Myanmar.

Aujourd’hui, les militaires ont réussi leur pari. Non seulement ils sont toujours au pouvoir, qu’ils n’ont jamais quitté. Mais ils ont détruit internationalement la seule qui, jusqu’en 2016, parvenait à leur tenir tête. Nous allons encore parler quelques jours du « coup d’état » qui a redonné les pleins pouvoirs à l’armée. Et le Myanmar retombera dans l’oubli. Le peuple retrouvera l’injonction au silence. L’ostracisation et massacre des Rohingas continuera. Mais nous pourrons nous targuer d’une grande victoire pour la liberté. Parce ce dont on ne parle pas n’existe pas. Non ?

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